Les petits arrangements avec la vérité de Jean Costentin
Alors que la nécessité du cannabis thérapeutique a été validée par l’ANSM en décembre dernier et que le CSST réfléchit actuellement aux contours de la mise en place de sa régulation, quelques sursauts prohibitionnistes parsèment la presse française, avec à la barre toujours un même homme, Jean Costentin.
L’école de la prohibition
Si ce n’est pas directement lui qui écrit, ce sont ses collègues du Centre national de prévention, d’études et de recherches sur les toxicomanies (C.N.P.E.R.T), coquille vide chargée d’héberger l’ensemble des prohibitionnistes français et dont Costentin est président. Après être longtemps restés coincés sur Boulevard Voltaire, Costentin and co. ont récemment accédé aux tribunes du Figaro et de La Croix. Ils usent des mêmes arguments, mettant en avant leur statut de professeur “émérites” et de scientifiques qui devraient leur conférer une certaine crédibilité. Malheureusement, entre propagande et désinformation, leur discours est pour le moins… peu scientifique.
Nous avions d’ailleurs regardé de près certains de ses arguments en 2017, avec en conclusion une propension à la dramatisation, au biais et au mensonge. Le discours n’a d’ailleurs pas évolué. Certaines craintes sont toutefois légitimes et ont été partagées plus ou moins de la même manière avant les différentes légalisations dans les Etats américains, en Uruguay ou au Canada. Mais ces derniers exemples ont aussi pu permettre de se rendre compte de la réalité ou non de ces arguments anti-cannabis. Il ne faut d’ailleurs pas grandes vérifications pour s’apercevoir du creux de certains des arguments de ces professeurs “émérites”. Listons-les ici :
- Le cannabis est plus dangereux que l’alcool et le tabac
- Le cannabis est hautement addictif
- La légalisation du cannabis va faire augmenter les accidents de la route
- Le cannabis rend fainéant
- Le THC diminue les défenses immunitaires
- Le THC perturbe le déroulement de la grossesse
- Consommé pendant la grossesse, le THC perturbera le futur enfant
- Consommé avant et pendant la grossesse, le THC poussera le futur enfant à consommer du cannabis
- Le THC incite à la consommation d’alcool
- L’addiction au cannabis conduit à la cocaïne et à l’héroïne
- Le THC favorise l’anxiété et la dépression
- Le cannabis fait perdre des points de QI
- Le cannabis cause la schizophrénie
- Le rapport bénéfice / risque du cannabis médical est en défaveur du cannabis
Le cannabis est « plus dangereux que l’alcool et le tabac »
Les trois substances ont des risques et des effets différents. Si on veut comparer leur dangerosité, on peut comparer la mortalité qu’elles engendrent ou leur toxicité. En termes de mortalité, difficile de dire que le cannabis est plus dangereux que l’alcool et le tabac. Ces derniers sont respectivement responsables de 41 000 et 73 000 morts par an en France. Pour ce qui est du cannabis, il n’a jamais causé de mort directe mais est présent dans environ 230 morts par an sur les routes, un chiffre par ailleurs gonflé par Costentin et qu’il faudrait au contraire nuancer par le fait que le THC peut être détecté dans le sang longtemps après que ces effets se soient dissipés.
Pour ce qui est de la toxicité, le cannabis ne cause pas de mort directe. Ceci-dit, s’il est consommé sous forme de joints, sa fumée pourrait causer au même titre que le tabac un cancer du poumon, bien que cela n’ait pas encore été vérifié par la recherche. Comme pour la nicotine, cette toxicité n’est pas inhérente au cannabis mais plutôt à sa combustion qui libère des toxines. Le rapport Roques de 1998 qualifie le cannabis comme ayant une toxicité générale très faible. Comparé à l’alcool, il serait 114 fois moins toxique.
Il existe en revanche un risque à ne pas négliger avec le cannabis. Celui-ci découle du fait que c’est une substance prohibée qui fait l’objet d’un commerce clandestin. En effet, des dealers peu scrupuleux peuvent y ajouter des substances toxiques au moment de la culture (pesticides, métaux lourds etc) ou de la revente (shit coupé) pour augmenter leur rendement. L’illégalité du produit empêche qu’il soit vérifié et soumis à des standards de production.
Le cannabis est hautement addictif
Jean Costentin rappelle qu’il existe 1,3 millions de consommateurs réguliers de cannabis. Les consommateurs réguliers sont ceux qui consomment environ 10 fois par mois, à ne pas confondre donc avec les usagers quotidiens qui sont environ 700 000 selon le rapport de l’OFDT de 2017. A quel niveau de consommation situe-t-on l’addiction au cannabis ? Doit-elle se mesurer en quantité consommée, dans la répétition de l’acte ou dans l’impossibilité de s’en passer ? Les mêmes débats existent pour l’alcool.
Concernant l’addiction au cannabis, elle est bien réelle mais à prendre avec des pincettes. En effet, il faut faire la différence entre une dépendance psycho-comportementale et physique. Il semble que la première soit plus répandue que la seconde bien que, selon les études, cette dernière touche environ 10% des consommateurs. Les symptômes du manque sont alors l’anxiété, l’irritabilité, la difficulté à dormir, plus légers en termes d’intensité que les risques liés à l’arrêt brutal d’une consommation d’alcool.
La légalisation du cannabis va faire augmenter les accidents de la route
La conduite sous influence du cannabis augmente en effet le risque d’accident (par 1,3 fois) du fait notamment de réflexes ralentis. Cependant, les données post-légalisation aux Etats-Unis et au Canada n’ont pas souligné d’augmentation globale des accidents de la route après la légalisation. En conduisant des tests, une commission michiganaise chargée d’étudier la question s’est par ailleurs rendue compte que les usagers de cannabis, par opposition aux usagers d’alcool, avaient tendance à compenser les effets subjectifs du cannabis en conduisant moins vite.
Le cannabis rend fainéant
Un syndrome amotivationnel existe bien chez les gros consommateurs. Ce n’est en revanche pas une généralité de la consommation. Si on voulait aller dans l’autre sens, on remarquera que certains artistes utilisent le cannabis comme moteur dans leur processus créatif.
Le THC diminue les défenses immunitaires
Les principes actifs du cannabis interagissent effectivement avec le système immunitaire. Ils ont notamment des propriétés anti-inflammatoires. Or, l’inflammation est une réponse du corps qui vise à limiter les risques de propagation d’une infection. C’est ainsi que par un raccourci grossier on peut dire que le cannabis diminue les défenses immunitaires.
A l’origine, l’inflammation est un mécanisme destiné à protéger l’homme dans un environnement hostile. Cependant, nous disposons aujourd’hui d’autres moyens pour limiter les infections (antiseptiques, antibiotiques etc.) qu’on lui préfère car l’inflammation est incommodante et douloureuse. Elle peut rester salutaire dans certains cas mais est dangereuse quand elle devient chronique.
Comme l’explique un article du Monde, aujourd’hui, dans la société du confort qui est la nôtre, ce mécanisme de défense s’est retourné contre l’homme. Il est désormais la base de nombreuses maladies chroniques : diabète, cancer, obésité, psoriasis, maladies neurodégénératives… autant de maladies pour lesquelles le cannabis s’avère d’ailleurs une piste de traitement prometteuse.
Par ailleurs, le fait que le cannabis soit déjà largement reconnu comme adjuvant dans le traitement du cancer et du sida, deux maladies qui causent le déclin du système immunitaire, est en totale contradiction avec ce qu’avance le professeur Costentin. Le cannabis est également prescrit contre la sclérose en plaques et la maladie de Crohn, deux maladies auto-immunes.
Le THC perturbe le déroulement de la grossesse
Les effets du cannabis sur le déroulement de la grossesse sont encore très peu connus. Certaines études suggèrent que les femmes enceintes consommant régulièrement du cannabis auraient en effet tendance à accoucher prématurément et les nouveaux-nés seraient plus légers. Ces risques sont les mêmes que ceux identifiés pour le tabac. Ils seraient dus au monoxyde de carbone libéré dans l’organisme par la fumée qui entraîne un manque d’oxygénation du foetus mais pas forcément au THC.
Dans le doute, les médecins californiens par exemple recommandent de ne pas consommer de cannabis pendant la grossesse, même si celui-ci peut aider contre les douleurs et les nausées.
Consommé pendant la grossesse, le THC perturbera le futur enfant
Il semble que les fœtus exposés au cannabis durant la grossesse présentent une plus grande incidence de troubles neurologiques cognitifs et de troubles de l’attention à l’adolescence. Dans un article, Le Dr Evelyne Mazurier, du service de pédiatrie de l’hôpital Arnaud de Villeneuve à Montpellier, fait le point des effets potentiels du cannabis sur le fœtus.
Consommé avant et pendant la grossesse, le THC poussera le futur enfant à consommer du cannabis
Selon deux études recensées dans cette thèse (p23), la consommation prénatale de cannabis est corrélée avec une exposition accrue à la consommation de drogues (tabac, alcool, cannabis) chez les enfants à l’adolescence, plutôt chez les garçons que chez les filles. Néanmoins, aucun lien causal n’est avancé, notamment car il est compliqué de faire la part entre une pré-disposition génétique et l’environnement social.
Le THC incite à la consommation d’alcool
De but en blanc, cette affirmation est fausse. Le THC en lui-même n’incite pas à la consommation d’alcool. Ceci dit, la consommation de cannabis et d’alcool sont toutes deux des comportements à risques et sont culturellement associées (poly-consommation). C’est la recherche de l’ivresse et une perception du risque amoindrie qui les rapprochent mais il n’existe aucun lien de cause à effet. Par ailleurs, les données post-légalisation aux Etats-Unis montrent que la consommation d’alcool est en baisse dans les Etats où le cannabis est légal.
L’addiction au cannabis conduit à la cocaïne et à l’héroïne
Il s’agit de la fameuse théorie des drogues passerelles. Celle-ci a été réfutée de nombreuses fois. Au contraire, des études commencent à apparaître montrant que le cannabis pourrait aider à la désintoxication. Par ailleurs, si certains consommateurs de cannabis sont portés vers des drogues « plus dures », cela dérive d’une logique comportementale qui consiste à rechercher un exutoire, à ne pas percevoir les risques ou à s’engager dans une logique d’auto-destruction mais cela n’est en aucun cas directement causé par le cannabis.
Le THC favorise l’anxiété et la dépression
Cette affirmation est sans doute celle qui divise le plus. Si certaines études suggèrent qu’à long terme la consommation de cannabis favorise l’apparition de troubles anxieux et de comportements dépressifs, la plupart des consommateurs se tournent justement vers le cannabis pour soulager l’anxiété et la dépression. Un sondage récent montre que 55% des consommateurs canadiens l’utilisent pour soulager leur anxiété. Pourtant une surdose favoriserait également la paranoïa.
Difficile d’en savoir plus à ce stade. Est-il possible que le cannabis soulage l’anxiété immédiate mais favorise des troubles anxieux à long-terme ? Une faible dose de THC permettrait-elle de soulager l’anxiété alors qu’une forte dose la favoriserait ? Les données sont pour l’instant paradoxales et des études plus poussées sur le long-terme sont nécessaires.
Le cannabis fait perdre des points de QI
Dans son article, Jean Costentin parle du cannabis comme de la « drogue de la crétinisation » accusant le cannabis de causer la perte irréversible de 9 points de QI. Il se base sur une étude néo-zélandaise datant de 2012 qui a depuis été critiquée. En effet, d’autres études ont été conduites pour vérifier ces résultats et ne sont pas arrivées aux même conclusions. D’ailleurs, Sciences et Vie qui avait relayé la première étude en 2013 a ensuite mis son article à jour avec une autre étude montrant que les moins bonnes performances cognitives n’étaient pas irréversibles, ce qui implique qu’il n’y ait pas de perte de QI.
Le cannabis cause la schizophrénie
Le lien entre cannabis et schizophrénie est pour le moins trouble. Il semble en effet qu’il existe une corrélation entre la consommation quotidienne de cannabis et l’apparition de troubles psychiques incluant la schizophrénie. Néanmoins, aucun lien causal n’a pour l’instant été démontré. Il se pourrait que les gens prédisposés à la schizophrénie soient également prédisposés à une consommation de cannabis et que celle-ci « déclenche » des troubles latents. Il se pourrait également qu’une consommation trop importante de cannabis cause la schizophrénie même chez les sujets qui n’y sont pas prédisposés. Certaines études ont par ailleurs montré que le CBD avait des effets anti-psychotiques. Le cannabis pourrait être à la fois pour certaines personnes le poison et l’antidote.
Le rapport bénéfice / risque du cannabis médical est en défaveur du cannabis
Le rapport bénéfice / risque d’un médicament s’évalue toujours pour une pathologie donnée. Pour l’instant, la recherche sur le cannabis médical n’en est qu’à un stade préliminaire. Il est cependant déjà assez largement autorisé pour traiter des formes d’épilepsie sévères, et de sclérose en plaques pharmaco-résistantes. Patients et médecins s’accordent à dire que ses effets secondaires sont relativement faibles (somnolence, désorientation) et que les bénéfices sont importants. Dans les essais cliniques toutefois, on voit souvent des bénéfices faibles du cannabis, ce qui n’empêche pas d’y voir un intérêt.
Le cas particulier des douleurs chroniques est intéressant. Ces douleurs sont très souvent traitées avec des opioïdes, des médicaments prescrits sous ordonnance qui créent une forte dépendance physique. L’addiction aux opioïdes a été responsable de 70 000 morts aux Etats-Unis en 2017. Pourtant, leur « rapport bénéfice / risque » était considéré comme positif par l’industrie pharmaceutique. Le cannabis médical est peu à peu apparu comme une alternative permettant de remplacer les opioïdes justement parce que ses effets secondaires sont moindres.
Quoi qu’il en soit, il est creux d’affirmer sans précision aucune que le rapport bénéfice / risque du cannabis médical est en défaveur du cannabis. La recherche se chargera de le prouver pathologie par pathologie. Des recherches sont en cours pour de nombreuses pathologies neurologiques comme l’Alzheimer, l’autisme et Parkinson.
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