Les compagnies canadiennes se disputent le leadership du marché latino-américain du cannabis
L’Amérique latine est une région attrayante pour l’industrie du cannabis. D’abord parce qu’en termes de production agricole, la région a un climat propice à la culture du cannabis. Dans son rapport régional, Prohibition Partners estime que la région a le potentiel pour devenir un centre de production mondial, grâce à son climat mais aussi à certains facteurs sociaux comme le moindre coût de la main d’oeuvre et des régulations. Ensuite, parce que le marché de consommateurs est estimé à plus de 600 millions d’habitants et que les législations sur le cannabis médical sont en train de s’ouvrir. Dans ce contexte, les leaders canadiens de l’industrie sont très actifs dans la région et tentent de sécuriser une position de leadership sur les marchés latino-américains émergents.
Colombie, Hub régional
La Colombie a légalisé le cannabis médical en 2015 avec l’ambition d’accueillir l’industrie sur son territoire. Elle a obtenu l’autorisation de produire 40,5 tonnes de cannabis médical en 2018 soit 44% du quota mondial autorisé par le Conseil International du Contrôle des Stupéfiants. En juillet dernier, on comptait 67 entreprises licenciées par le ministère de la Justice pour la culture de cannabis. Parmi ces entreprises, on trouve des multinationales canadiennes qui produisent localement pour ensuite diffuser leurs produits sur le marché national et régional. La première entreprise canadienne à s’être installée en Colombie et à obtenir toutes les licences nécessaires à la production, la distribution et l’exportation de cannabis médical (THC et CBD) est Khiron Science.
Contrairement à d’autres entreprises canadiennes, Khiron Science se concentre exclusivement sur le marché latino-américain. Les opérations principales de la compagnie sont installées en Colombie où avec une capacité de production de 8 tonnes qui, selon les plans d’expansion de l’entreprise, doit être étendue à presque 100 tonnes. Elle a également signé une lettre d’intention pour l’acquisition d’un des réseaux de santé majeurs du pays, L’Institut Latino-américain de Neurologie et du Système Nerveux, qui touche plus de 100 000 patients.
Le marché latino-américain attire également les convoitises du géant canadien, Canopy Growth, qui a dans cet objectif créé une filiale régionale, Canopy LATAM. Cette dernière s’est installée en Colombie via l’acquisition de Colombian Cannabis (devenu Spectrum Cannabis) qui détient toutes les licences nécessaires à la production, la transformation et l’exportation de cannabis et ses dérivés. Installé dans la région agricole de Huila avec 280 jours de soleil par an, Spectrum Cannabis Colombia doit jouer le rôle de hub pour la production de cannabis médical qui sera ensuite redistribué dans d’autres marchés latino-américains. Récemment, la filiale a obtenu les licences nécessaires à la production de cannabis sur les 126 hectares arables de la ferme (auparavant ses licences ne couvraient qu’une quarantaine d’hectares).
Le concurrence est rude cependant sur le marché colombien où Aurora Cannabis s’est également installée. Au travers de l’acquisition de ICC Labs, un autre canadien spécialisé dans le marché latino-américain, l’entreprise a obtenu des licences de production pour du cannabis THC et CBD et possède des installations de production sous serre de 124,000 m². En Juin 2018, ICC Labs annonçait un accord de vente avec Hlessing Industries un leader de la distribution pharmaceutique en Colombie. Un autre canadien, Aphria, s’est imposé sur le marché colombien au travers de l’acquisition à 90% des parts de Colcanna, un acteur local qui possède toutes les licences requises pour la culture, la transformation, l’export, la recherche et la commercialisation du cannabis médical. Colcanna possède déjà 34 acres de terres arables et est sur le point d’en obtenir huit de plus. Avec six récolte par an, la production annuelle est estimée entre 30 000 et 50 000 kilos de cannabis.
L’Argentine, la chasse gardée d’Aphria ?
L’industrie du cannabis médical argentine connait des retards de développement, la production n’est toujours pas entamée et les patients exigent une autorisation de l’auto-culture. C’est dans ce paysage complexe qu’Aphria évolue au travers de sa filiale APB qui a été la première entreprise à se voir accorder une licence pour l’importation de produits pharmaceutiques au cannabis par le ministère de la Santé argentin. APB va distribuer ses produits via un large réseau de distributeurs, pharmacies, cliniques et hôpitaux. En Octobre, Aphria a complété son premier envoi d’huile de cannabis en Argentine qui était destiné à l’Hôpital Pédiatrique de Garrahan pour un essai clinique sur l’épilepsie réfractaire chez les enfants. APB a également des accords avec les 20 compagnies d’assurance argentines ce qui lui garantit une certaine visibilité auprès des patients dont les frais de santé sont couverts par le système de santé national.
Aphria est désormais en train d’étudier la possibilité de produire sur le territoire argentin. Le mois dernier, la compagnie a annoncé que sa filiale avait signé une lettre d’intention avec la société du gouvernement provincial de JuJuy, Cannabis Avatãra Sociedad del Estado (“CANNAVA“), pour un accord de cooperation concernant la culture de cannabis. Selon cet accord, ABP pourra installer dans la province un site de production pour la culture et la transformation de cannabis et de ses dérivés. Bien que ses principaux concurrents Canopy et Aurora ne soient pas installés en Argentine, Aphria n’est pas la seule à vouloir produire du cannabis médical dans le pays. Le groupe canadien Wayland avait annoncé l’achat d’un total de 819 hectares de terres agricoles dans la Province de San Juan pour le développement d’un projet de production de cannabis médical. Outre l’Argentine, Aphria est également présente au Paraguay et en Jamaïque. Elle a sécurisé ses actifs latino-américains au travers d’un accord avec Scythian Biosciences Corp “SOL”.
Aurora leader du marché uruguayen
L’Uruguay a été le pionnier de la légalisation du cannabis récréatif mais, contrairement au Canada, le marché n’est pas ouvert et reste strictement contrôlé par le gouvernement, en particulier au niveau de la production. Les producteurs ne sont pour l’instant qu’au nombre de deux et ont un contrat de production fixe. Cette situation garantit un chiffre d’affaire stable et l’absence de concurrence. En rachetant ICC Labs, Aurora a mis la main sur une part de marché correspondant à 70% du marché de consommateurs uruguayen. Néanmoins, le gouvernement a récemment annoncé son intention de mettre cinq nouvelles licences de production en jeu. Cette part de marché est donc susceptible de diminuer. Avec ses opérations en Colombie, l’entreprise comptabilise désormais plus de 840 acres de terres de production sur les deux pays et est en train de construire le premier laboratoire d’extraction de CBD par oxygène d’Amérique Latine.
Aurora est également en négociation pour l’acquisition du distributeur mexicain Farmacias Magistrales. Ce dernier est le premier et pour l’instant le seul à avoir obtenu du gouvernement mexicain une licence pour importer du cannabis contenant plus de 1% de THC. Qui plus est, Farmacias Magistrales a un réseau de distribution bien établi avec 80 000 commerces de vente au détail pour des produits CBD et 500 pharmacies et hôpitaux pour des produits au THC. Avec cet accord à venir Aurora se réserve une place de choix dans un des plus larges marchés (130 millions de consommateurs) d’Amérique latine. Le marché mexicain risque d’exploser car, outre le cannabis médical, le gouvernement a autorisé des premiers produits CBD à la vente et travaille actuellement à la légalisation du cannabis récréatif dont on sait qu’elle inclura les ventes privées.
Les nouveaux marchés
Certains marchés latino-américains ne sont pas encore développés mais ont un potentiel certain. C’est le cas du Brésil qui autorise déjà certains médicaments au cannabis à l’importation mais au travers d’une procédure spéciale et au frais des patients. Aucune production industrielle locale n’est pour l’instant possible (la question de l’auto-culture à des fins médicinales est actuellement débattue au Parlement). Quand et si elle le sera, le marché brésilien de 200 millions d’habitants attirera surement les convoitises des leaders canadiens. Qui plus est, le Brésil est un leader mondial de l’agriculture et a une industrie pharmaceutique forte, deux avantages dont sauront tirer profit les compagnies canadiennes.
Au Paraguay et au Pérou, le cannabis médical est légalisé mais les programmes nationaux tardent à se mettre en place face à un manque de volonté politique. Au Pérou néanmoins, selon le directeur de l’Institut Péruvien du Cannabis, Juan José García, les pharmacies et les laboratoires devraient être en mesure d’obtenir des licences de commerce officielles d’ici environ un an. Canopy est d’ores et déjà présent sur place via Spectrum Cannabis Pérou qui ne mène pour l’instant que des campagnes d’éducation pour préparer les professionnels de santé et certains groupes stratégiques de patients à l’introduction du cannabis médical. La compagnie est également présente depuis 2016 au Brésil au travers d’une joint venture avec le laboratoire Entourage et l’entreprise Bedrocan Bresil.
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