Face à des pertes considérables, le Nouveau Brunswick songe à privatiser les ventes de cannabis
Entre pénuries et hausses des prix, les premiers mois de légalisation chaotiques qu’a connu le Canada ont mis à rude épreuve les modèles de régulation de chaque province. Au Nouveau-Brunswick, les ventes sont entièrement gérées par une société d’Etat : Cannabis NB. Or, celle-ci a enregistré 11,7 millions de dollars de pertes en seulement 6 mois d’activité. Ces pertes questionnent la rentabilité du modèle et le gouvernement songe à privatiser.
Le retour de flammes de la légalisation
Loin des promesses d’importantes recettes fiscales qu’avait laissé envisager la légalisation du cannabis au Canada, les provinces et Ottawa n’ont pour l’instant que de maigres retours insuffisants pour compenser leurs investissements. Ce n’est pas la demande qui fait défaut mais il existe des problèmes en amont dans la chaîne de production. Le manque de producteurs et les retards de production ont provoqué des pénuries qui ont conduit à des ruptures de stock et à une hausse des prix. Du fait de ces aléas, le marché de cannabis légal n’a toujours pas réussi à attirer une part significative des consommateurs (le marché noir continue de capter 71% de la demande) et n’est donc pas prêt d’être rentable.
Un rapport prophétique datant du 13 octobre dernier avait prédit les pénuries et les pertes fiscales qu’elles entraîneraient. Les auteurs du rapport estimaient que : “selon le rythme de production actuel de cannabis licite, les producteurs seront en mesure de répondre seulement à 30 à 60 % de la demande totale au pays”. Ils estimaient en outre que les revenus générés par les ventes, entre 300 et 600 millions de dollars, seraient bien inférieurs aux pertes anticipées estimées à 800 millions de dollars.
La légalisation du cannabis n’est pour l’instant pas rentable pour les gouvernements fédéral et provinciaux mais la situation est encore pire pour les provinces qui ont opté pour un monopole des ventes. En effet, leurs pertes ne sont pas uniquement de nature fiscale mais également commerciale. Elles doivent entre autres acheter la marchandise, payer les employés etc. Cela suppose un investissement d’autant plus important. Or, tant que le marché noir subsiste, le déficit des sociétés d’Etats est voué à se creuser.
Un modèle en question
“C’est un modèle d’affaires horrible” affirme le ministre des Finances du Nouveau Brunswick, Ernie Steeves. Face aux pertes considérables de Cannabis NB, le gouvernement de la province procède à une étude interne pour étudier d’autres modèles de régulation. Trois scénarios sont actuellement envisagés : un statu quo avec une fermeture des magasins les moins rentables, une privatisation de la gestion de la société qui serait confiée à une entreprise experte dans le cadre d’un partenariat public /privé, une privatisation totale avec l’abandon du monopole et un marché ouvert aux acteurs privés.
C’est ce dernier modèle que suggérait l’économiste Germain Belzile au gouvernement québécois qui a également opté pour un monopole de la distribution via la SQDC. Il estime que la vente au détail devrait être laissée aux acteurs privés, mieux outillés selon lui pour faire face à la concurrence du marché noir. Une semaine après la légalisation, les 12 magasins de la SQDC ont été contraints de fermer les lundis, mardis et mercredis par manque de stock. Dans son article, l’économiste n’y va pas de main morte : “Le seul bon côté de l’aventure de la SQDC aura été de permettre aux jeunes Québécois de faire connaissance avec «le modèle soviétique» et le «communisme» en offrant des magasins aux tablettes vides et des produits seulement en quantité limitée et en formats non désirés”.
Pour le député libéral du Nouveau Brunswick Roger Melanson, en revanche, il est encore trop tôt pour juger de la rentabilité de ce modèle : “Personne ne va investir de l’argent et s’attendre à avoir un retour sur investissement en six mois. Normalement, on devrait attendre au moins une année complète d’opération pour bien comprendre le niveau de revenu qui sera généré. Pour les gens d’affaires, c’est souvent de trois à cinq ans pour aller chercher des profits adéquats”.
Le Nouveau Brunswick n’est pas la seule province à avoir opté pour un monopole gouvernemental de la distribution. Outre le Quebec, on compte également Terre-Neuve-et-Labrador, la Nouvelle Ecosse et l’Île du Prince Édouard. Certaines ont opté pour des modèles hybrides comme le Manitoba où les détaillants privés et publics se côtoient ou la Colombie Britannique où la vente en gros est gérée par l’Etat alors que les ventes au détail sont laissées à des opérateurs privés. D’autres encore ont changé de cap comme l’Ontario dont le précédent gouvernement avait opté pour un monopole alors que le nouveau gouvernement a ouvert le marché aux opérateurs privés.
En somme, la légalisation canadienne du cannabis est un processus en cours sur lequel pourront s’appuyer les prochains pays à légaliser.
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