La multiplication des brevets dans l’industrie du cannabis
L’industrie du cannabis se normalise peu à peu et parallèlement le nombre de dépôts de brevets augmentent. Les brevets octroient des droits de propriété exclusifs, garantis par le gouvernement, sur des inventions telles que des procédés, des machines, des produits ou des formules d’intérêt. Avec le boom financier autour du cannabis et en particulier du cannabis médical, l’industrie du cannabis est de plus en plus encline à protéger sa propriété intellectuelle. De manière surprenante, ces brevets sont parfois accordés alors même que le cannabis est interdit ou non reconnu comme ayant des propriétés thérapeutiques par la législation des Etats en question.
La prohibition, un problème pour les brevets ?
Interrogé par Forbes, David Cohen, doctorant et agent de brevet indépendant pour le milieu du cannabis en Californie explique que la position fédérale prohibitionniste a eu peu d’impact sur l’accord de brevets aux Etats-Unis. En fait, une partie du travail scientifique sur les potentialités thérapeutiques des cannabinoïdes a été breveté par le gouvernement américain lui-même via le ministère de la Santé. Parallèlement, le Bureau des Brevets américain a accordé des brevets liés au cannabis depuis 1942. Certains d’entre eux ont expiré (après environ 20 ans les inventions passent dans le domaine public) mais certains sont encore actifs. Malgré l’interdiction fédérale, les demandes de brevets sont de plus en plus courantes aux Etats-Unis.
Généralement, les médicaments peuvent être brevetés même s’ils n’ont pas d’autorisation de commercialisation. En 2010, le gouvernement du Royaume-Uni a accordé une licence à GW Pharmaceuticals pour la production du médicament Sativex, un traitement contre la sclérose multiple. Pourtant ce n’est que récemment que le gouvernement britannique a légalisé le cannabis médical. Récemment, la FDA a approuvé un autre médicament de Gw Pharmaceuticals, l’Epidiolex. Il va de soi que ces médicaments sont protégés par des brevets qui donnent au laboratoire le monopole de la production. Ces brevets ont été accordés malgré la prohibition.
Selon l’OMPI, l’organisation mondiale de défense de la propriété intellectuelle des Nations Unies, 50% des brevets liés à des produits en lien avec le cannabis ont été déposés par des entreprises chinoises. Pourtant, les lois antidrogue chinoises sont très dures et incluent des peines de mort. Le chanvre est toutefois légal en Chine et peut servir de base aux mêmes recherches.
Un autre rapport d’xperts établit également que la majorité des brevets récemment déposés viennent de Chine, mais aussi des Etats-Unis et du Canada. Au Canada, bien sûr, pas d’inquiétude à avoir concernant le caractère légal de l’objet breveté. Parmi les derniers brevets déposés par des entreprises canadiennes figurent des appareils d’éclairage, des procédés d’extractions ou des formules de cannabinoïdes. Les brevets peuvent également porter sur des objets plus abstraits : Canopy a déposé un brevet pour une “méthode de représentation d’attributs de caractéristiques physiques ou de composés d’un article ou d’une substance”.
Quels types de brevets?
Le rapport classe en familles de brevets et par importance en quantité les brevets déposés. Il note une prévalence nette du médical.
- Médical : inclut l’usage du cannabis (méthodes et compositions) pour traiter des maladies spécifiques mais aussi les voies d’administration. Un des derniers brevets déposés concernait l’administration de cannabinoïde via suppositoire.
- Culture : les derniers brevets déposés portent sur des systèmes de culture, d’éclairage, et d’enclos sécurisés.
- Dépistage : inclut des méthodes d’analyse chimique, des tests de toxicologie utiles au niveau judiciaire etc.
- Aliments : des brevets ont par exemple été déposés pour des recettes de miel, de café, de sésame et de chewing gum au cannabis.
- Appareils : inclut des vaporisateurs, des patchs ou des procédés d’extraction et de fabrication des huiles.
- Manipulations génétiques : inclut des promoteurs génétiques, des plants transgéniques avec des niveaux d’expression de cannabinoïdes modifiés et des marqueurs génétiques de différenciation de variétés de cannabis.
- Traçabilité : inclut des systèmes de traçabilité, de contrôle de la production et de la distribution du cannabis.
- Récréatif : les derniers brevets déposés incluait la fabrication de préservatifs goût cannabis.
Les brevets de l’industrie pharmaceutique
Aujourd’hui, l’industrie pharmaceutique connait un véritable boom autour des légalisations du cannabis médical pour lequel on découvre de plus en plus d’applications thérapeutiques. Des entreprises de plus en plus spécialisées mettent au point des formules de médicaments, de nouvelles technologies d’extraction et de production ou déterminent des profils cannabinoïdes et terpéniques à l’efficacité biologique accrue et de nouvelles méthodes de production pour garantir des ratios stables.
Parallèlement, l’industrie se consolide et les grandes compagnies tendent à intégrer les petites et moyennes entreprises et en particulier celles qui ont des brevets intéressants. Récemment, Canopy Growth a par exemple acquis, pour la modique somme de 327 millions de dollars, ebbu, un laboratoire spécialisé dans les cannabinoïdes qui possèdent quelques 40 brevets.
Comme on peut s’en douter, l’industrie pharmaceutique est le premier demandeur de brevets dans le monde du cannabis et notamment en chimie moléculaire. Mais plus largement, les brevets peuvent concerner :
- certains profils de cannabis, formules et méthodes de préparation associés à la création d’un médicament
- la caractérisation des composés du cannabis en termes de leur action sur les récepteurs endocannabinoïdes
- les méthodes de traitement aux cannabinoïdes de certaines maladies
Les plantes peuvent-elles être brevetées ?
Le brevetage du vivant est une question particulière mais, en soi, oui les plantes peuvent être brevetées selon certaines conditions spécifiques aux législations des Etats. Au Canada, les plantes et les formes de vie ne sont pas brevetables. En Europe, la brevetabilité ne s’applique qu’aux plantes génétiquement modifiées et ne s’applique pas si la situation de monopole est moralement contraire à la santé publique.
Aux Etat-Unis cependant, les considérations morales n’entrent pas en jeu et il existe deux façons de breveter l’invention d’une plante : les utility patents et les plant patent. Les premiers représentent 95% des brevets déposés et s’appliquent au patrimoine génétique de la plante c’est à dire directement à la variété. La deuxième catégorie ne s’applique qu’à la plante mère et à ses descendants directs. La nuance porte sur la reproduction : dans le premier cas, les graines sont brevetées mais dans le second seuls les plantes produites par boutures tombent sous le coup du brevet.
“De mon point de vue, le plant patent n’est pas une menace substantielle à la biodiversité de l’industrie; elle récompense juste les breeders avec un contrôle exclusif sur leur travail” explique Dale Hunt, un avocat spécialisé en brevets et en propriété intellectuelle à San Diego, à Merryjane. “Le véritable danger vient des utility patents. Les gens peuvent obtenir et obtiennent des brevets sur les variétés et dans ce cas toute similarité dans le phénotype peut devenir une violation du monopole”.
Une fois le phénotype (profil génétique) d’une plante breveté, quiconque veut la cultiver doit obtenir une licence directement auprès du détenteur du brevet. Le brevet est cependant considéré invalide s’il existe des preuves valables de l’existence de l’objet breveté plus d’un an avant le dépôt de brevet, c’est la preuve de prior art. Concernant le cannabis l’absence de données sur les phénotypes déjà existants peut conduire à des abus de brevets.
Pour lutter contre l’appropriation des variétés de cannabis par le brevetage, la plateforme en ligne Open Cannabis Project s’est fixé pour objectif de recenser et d’établir une base de données des profils génétiques des plantes déjà existantes. “Si nous n’avons pas assez d’éléments pour déterminer la nouveauté, alors je pense personnellement que nous ne devrions pas accorder de brevets sur les plantes de cannabis. Du moins pas encore” explique la directrice Beth Schechter.
La guerre des brevets
Les brevets sont une forme de protection pour les entreprises mais ce sont aussi des armes stratégiques dans la guerre commerciale qu’elles se livrent. Récemment, un procès au Colorado a soulevé un certain nombre de questions. Le 30 Juillet dernier, United Cannabis Corporation (UCANN) a poursuivi Hemp Collective en alléguant que ce dernier avait agi en contradiction avec le brevet N°9,730,911 raccourci à “brevet 911”, qui revendique l’invention “d’une formule de cannabinoïde liquide contenant au moins 95% de CBD”. Si le procès est remporté par UCANN alors il sera reconnu qu’aucune compagnie ne pourra fabriquer de produits cannabique liquide ayant un taux de CBD supérieur ou égal à 95%. Néanmoins, cette revendication est invalide aux yeux de la preuve de prior art puisque l’Epidiolex de GW Pharmaceuticals, conçu en 2010 déjà, contient un taux de CBD de 99%. Le Bureau des Brevets américain n’est ainsi pas franchement regardant concernant le monde du cannabis, ce qui pourrait causer la multiplication des litiges.
“Il existe une tension naturelle entre la protection de la propriété intellectuelle (IP) et le fait de s’assurer que cette IP n’englobe pas des choses qu’elle ne devrait pas englober. C’est la menace de gens qui brevettent ce qu’ils ne devraient pas breveter” explique John Mansfield, avocat spécialisé dans les brevets, à Merryjane. “Le vrai problème des utility patents, c’est quand les gens s’en sortent en construisant des barrières trop grandes, ils bloquent ainsi tout un secteur d’innovation ou d’activité commerciale qu’ils ne devraient pas être en mesure de bloquer. Il faut s’assurer que le monopole ne soit pas plus grand que la contribution de l’inventeur à la nouveauté”.
Concernant le vivant, certains craignent que de grandes compagnies agroalimentaires telles que Monsanto et Syngenta s’approprient les variétés de cannabis via des brevets et obtiennent le contrôle de leur génétique, comme c’est déjà le cas pour d’autres types de culture. Cela obligeraient les breeders et les producteurs à obtenir des licences auprès de ces compagnies et il est fort probable que cela ait également un impact négatif sur la diversité du patrimoine génétique de la plante.
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