Peut-on vraiment laisser la réforme des lois sur le cannabis à Eric Poulliat ?
Edito. France 2 organisait hier soir une soirée-débat autour de l’échec français des drogues. Sujet consensuel s’il en faut, le plateau a regroupé divers profils, avec un fond plutôt positif. Point noir au tableau, l’intervention d’Eric Poulliat, co-rapporteur du projet de loi de contraventionnalisation de l’usage de stupéfiants. Entre langue de bois et fake news, le député de Gironde n’a pas brillé, et c’est un euphémisme.
1 question aura suffi
Il n’aura pas fallu longtemps à Mr Poulliat pour nous donner un aperçu de sa connaissance du sujet. Première question de Julian Bugier à son encontre à 52’30 :
« Ces quartiers qui sont aux mains des dealers, ça concerne combien de communes, combien de quartiers, combien d’habitants ?
_ Les choses évoluent très rapidement. Il faut quand même voir que le trafic de drogue est avant tout un commerce. On peut avoir des systèmes de mutation en plus des produits. J’ai visité par exemple Lille qui est une ville où l’héroïne fait absolument des ravages. L’héroïne est à 20€ le gramme aujourd’hui, les cités qui vendaient du cannabis il y a 10 ans vendent aujourd’hui de l’héroïne de la même façon, ce sont les mêmes dealers ,et voilà les dealers s’adaptent, ce sont des commerçants, efficaces et dynamiques. »
Bel exercice de langue de bois où pas un début de réponse n’a pointé son nez. Julian Bugier le reprend même : « bon, moi j’ai trouvé un chiffre quand même [acquiescement de la tête de Poulliat] , 1500 quartiers concernés par ces problèmes de deals, ces problèmes de trafic et d’accaparement du territoire, 700 communes, 5,5 millions de personnes, c’est absolument considérable. »
Les chiffres ne manquaient donc pas, mais Mr Poulliat ne les connaît pas.
Pas mieux sur la deuxième
Julian Bugier approche ensuite le sujet chaud du moment : la contraventionnalisation, avec une question on ne peut plus claire.
« En quoi cette mesure va permettre de lutter contre les trafics ?
_ Alors déjà parce qu’elle va réorienter les moyens de police et de gendarmerie vers les trafics, puisqu’aujourd’hui beaucoup de moyens sont occupés pour la répression sur le consommateur. Je suis convaincu que le consommateur est deux fois victimes : il est victime du produit qu’il prend, qui est un produit toxique, et victime du trafiquant parce qu’il en est sa source de revenus. »
On met donc une amende de 300€ au consommateur pour pouvoir s’occuper des trafiquants ? En pénalisant davantage les consommateurs, puisque l’amende se fait systématique et que les peines de prisons ne sont pas écartées, les moyens de police et de gendarmerie iront davantage vers les trafics ?
Le consommateur ne sera-t-il pas alors réellement deux fois victimes : de l’amende immédiate et du système pénal ensuite ? Qu’est-ce qu’une amende va changer sur le fait qu’il serait victime du trafiquant ? L’Etat, en prohibant le cannabis, ne pousse-t-il pas les consommateurs de fait vers le marché noir ? Pénaliser le consommateur majeur va-t-il faire baisser la consommation des jeunes ?
Julian Bugier pose ensuite une question intéressante, qui restera malheureusement sans réponse, un mini-reportage vidéo étant lancé : » Alors pourquoi ne pas avoir ouvert le débat sur la dépénalisation, comme l’ont fait beaucoup de nos voisins ? »
Mr Poulliat continue seul :
« Le problème est qu’on aborde toujours la question de la politique publique des drogues d’un seul point de vue. Il y a 3 angles de vue selon moi sur ce sujet-là. Il faut voir l’aspect éducatif, l’aspect sanitaire et l’aspect répressif. Si on ne regarde que sur un des aspects, vous trouverez toujours quelqu’un qui a raison à la place des autres. »
C’est pas faux dirait Perceval. On a bien cherché l’aspect éducatif et sanitaire de l’amende, sans résultat.
Julian Bugier : » La France est l’un des plus gros consommateurs de cannabis chez les adolescents et pourtant on a les règles, la législation la plus stricte d’Europe. Comment vous l’expliquez ?
_ Simplement parce qu’elle n’est pas appliquée… dans un sens. C’est-à-dire que si vous voulez, la majorité des poursuites pour l’usage de cannabis finit par un rappel à la loi. [Stéphane Gatignon s’énerve dans son coin] Ca s’appelle une inefficience totale du système pénal, de la réponse pénale. »
Idem, la réponse de Mr Poulliat n’explique en rien l’état actuel de la consommation de cannabis en France. Si tant est que la loi ne serait pas appliquée « dans un sens », elle reste quand même dans les faits la plus stricte d’Europe. Avec les résultats qu’on connaît.
Et on finit sur une fake news
Il nous manquait alors un bon gros cliché pour finir cette merveilleuse intervention. Nous vous laissons savourer :
« On reste chacun avec ses propres schémas et ses propres préjugés. Pour beaucoup, les gens de mon âge admettons, qui ont la quarantaine, pensent que le cannabis finalement c’est pas très dangereux, le cannabis qu’on a plus ou moins connu y’a 20 ans, voilà et que bon on fumait ça, c’était cool, on écoutait du reggae, on écoutait Bob Marley, et c’était cool. Mais aujourd’hui c’est plus ça. » S’ensuit une diatribe sur l’augmentation du taux de THC, les gamins avec schizophrénie à 16 ans…. Mr Gatignon a la tête entre les genoux après tant d’inepties.
Julian Bugier tente de finir sur une ouverture :
« Certains disent qu’une légalisation permettrait de mieux maîtriser la filière.
_ C’est faux. Y’a aucun, y’a toutes les légalisations qui ont eu lieu dans l’Etat du Colorado, de Washington, en Uruguay montrent exactement le contraire. » répond Mr Poulliat qui finit donc par un mensonge éhonté.
Si toutes les expériences de légalisation du cannabis peuvent être améliorées, elles permettent de facto une régulation de la filière, de la graine à la vente. Mr Poulliat a sans doute en tête une des conclusions de Cannalex, à savoir que le marché noir n’est pas complètement éliminé et continue à fournir les Etats alentours qui n’ont pas légalisé. Mais de là à dire qu’une régulation est pire que la prohibition ? Que la dépénalisation, et a fortiori la prohibition, ne fait pas la part belle au marché noir ?
Tant de questions, si peu de réponses. Et la non-réforme de la loi de 1970 est en partie entre ses mains… Les vignobles de Gironde seront saufs.
Et si ?
A sa décharge, notre (triste) intuition est finalement que Mr Poulliat n’est que l’homme de paille de cette réforme dont le cadre était déjà donné d’avance. Au risque de se ridiculiser devant son parti et la France entière, il ne peut sortir de sa position : « une amende en plus, pas moins ».
Pour finir sur une note d’espoir, l’intervention la plus intéressante de l’émission aura été celle de Céline Burgos, « simple » maman, à 54’25, à 1h14’35, puis à 1h15’30.
Et c’était sans doute la conclusion de cette émission : les citoyens présents sont déjà prêts à une légalisation du cannabis en France. Pas les décideurs politiques.
Nous vous laissons revoir l’émission ici, disponible pendant 6 jours en replay.
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