Comment le cannabis est-il arrivé en France ?
Aujourd’hui, le cannabis est la substance illicite la plus consommée dans l’Hexagone, avec au moins 800.000 utilisateurs quotidiens, malgré son interdiction. Cette plante, originaire d’Asie, est probablement une des plus anciennement connues pour l’homme, mais comment est-elle arrivée sur notre territoire? A quand remontent ses premières utilisations ?
Les premières traces
De nombreuses recherches archéologiques et historiques ont trouvé des preuves et des traces d’utilisation du cannabis depuis la préhistoire. Selon des chercheurs de l’université libre de Berlin, le cannabis aurait été importé en Europe depuis l’Asie, où des traces de cannabis parfois vieilles de 11500 ans ont été découvertes ,par la tribu des cavaliers Yamna, une des tribus fondatrices des européens modernes. Ces derniers vivaient en partie de son commerce et s’en servaient même de monnaie d’échange. Ainsi, le cannabis venant des steppes et de la Chine a débarqué en Europe, mais sa culture ne se développa pas immédiatement et l’usage récréatif n’était pas répandu.
On retrouve quand même des histoires de consommation spirituelle ou médicale dans des rites, notamment chez les Scythes. Ce peuple avait apparemment la coutume de s’enfermer dans des tentes pour respirer les vapeurs de cannabis et ressentir les effets enivrants de la plante.
Dans l’Antiquité, et plus tard au Moyen-Age, la culture de Cannabis agricole, communément appelé chanvre pour le distinguer de ses utilisations récréatives ou médicales, se développa notamment pour en extraire les fibres, permettant la fabrication de cordes, de textiles et de matériaux de construction. Les graines furent aussi consommées massivement en raison de leurs vertus nutritives. On sait que les cordages à base de chanvre étaient commercialisés dans le port de Massilia, aujourd’hui Marseille, et la présence de pipes retrouvées lors de fouilles suggère que certains connaissaient déjà les propriétés psychotropes du cannabis. Le chanvre d’alors dépassait en effet nettement les 0,2% de THC auxquels sont limitées les variétés légales contemporaines, comme le suggèrent de récentes fouilles ayant mis à jour du cannabinol dans des sédiments vieux de 800 ans, le cannabinol étant issu de la dégradation du THC.
Le cannabis se répand
A partir du IXè siècle et l’arrivée de Charlemagne, la culture du chanvre se développe grandement en France, jusqu’à acquérir sa place dans les variétés locales de plantes utilisées massivement. Cela va grandement servir aux avancées majeures que le Moyen-Age a engendré, comme les grandes navigations ou l’écriture. En effet, les voiles et cordages des bateaux étaient la plupart du temps confectionnés à partir de cannabis, tout comme la première bible imprimée par l’invention de Gutenberg en 1455. Déjà avant, les moines copistes rédigeaient les Bibles sur du papier de chanvre, éclairés par des lampes à huile, extraite elle aussi du cannabis.
Pendant ce temps, l’utilisation récréative et médicale commence à se développer à une échelle qui est difficilement analysable aujourd’hui, perdue à jamais dans les méandres de l’obscurantisme : le système inquisitoire détruit peu à peu une grande partie de la science européenne, y compris médicale, parmi laquelle se trouve l’utilisation d’un grand nombre de plantes dont le Cannabis. Sous couvert de lutte contre la sorcellerie et le satanisme, les autorités religieuses s’acharnent donc à interdire le cannabis, ce qui sera réalisé concrètement uniquement en 1484, alors que le courant de la Renaissance arrive, par le pape Innocent VIII qui condamne l’utilisation du cannabis.
Ce dernier fera son grand retour en France avec les temps modernes. A cette époque, le besoin de dizaines de tonnes de chanvre par bateau et l’importance des navires dans la conquête et la croissance font du chanvre une ressource extrêmement précieuse, source de conflits à l’image du pétrole d’aujourd’hui. Les puissances européennes exportent le chanvre dans leur colonies et y obligent même parfois la culture.
Avec la période des Lumières, les connaissances sur le cannabis s’agrandissent. Diderot et d’Alembert décrivent le Cannabis dans leur Encyclopédie comme une plante procurant “vertiges, des éblouissements, en un mot une sorte d’ivresse”. En 1753, Carl von Linné, un botaniste Suédois, donne son nom latin (ou nom scientifique) au Cannabis. Le chanvre textile devient “Cannabis Sativa L.”, puisque le chanvre est une espèce du genre botanique Cannabis, qu’il est cultivé (en latin sativa) et le L. en hommage à Linné. Le cannabis récréatif et médical est lui “Cannabis Sativa”, sans le “L.”.
Mais c’est les conquêtes napoléoniennes fin 18ème, particulièrement en Egypte, qui vont répandre l’utilisation du cannabis récréatif en France. En effet, les soldats n’ayant pas accès à l’alcool, se tournent vers le haschisch pour se détendre. Ce dernier est souvent mélangé à de l’opium et autres substances, et la dureté de la mission pousse les soldats à se réfugier dans la défonce. Napoléon interdit donc à ses soldats, mais aussi à ses citoyens, de fumer les sommités fleuries du chanvre.
Cette interdiction sera bafouée de toutes parts, et aura même l’effet d’intéresser nombreux scientifiques et écrivains en métropole, notamment Jacques Moreau de Tours, un psychiatre renommé qui publia Du Haschich et de l’aliénation mentale, un ouvrage dans lequel il discute des propriétés médicinales, récréatives et spirituelles du cannabis. Il est convaincu des bénéfices de cette plante, et critique ardemment ceux qui tentent de la proscrire sans même l’avoir essayée. Avec des amis écrivains, il fonde le Club des Haschichins, dans lequel se réunissent des auteurs célèbres tels que le poète Théophile Gautier, Victor Hugo, Charles Baudelaire, Honoré de Balzac ou encore Eugène Delacroix pour consommer du cannabis et discuter. Leur méthode favorite de consommation consiste en une sorte de spacecake de l’époque, le dawamesk, une mixture sucrée contenant du haschich, qui procure aux consommateurs des effets forts et clairs, qui intriguent beaucoup en raison de la grande différence selon l’utilisateur, son humeur, et le contexte de consommation.
Mais ces pratiques prendront définitivement fin le 12 Juillet 1916, en pleine Grande Guerre, lorsqu’est passée la loi « concernant l’importation, le commerce, la détention et l’usage de substances vénéneuses, notamment l’opium, la morphine et la cocaïne », qui pénalisait pour la première fois l’usage en société et la consommation personnelle. Cette loi fit suite à des rumeurs stipulant que les Allemands fournissaient du cannabis et de la cocaïne aux soldats français afin de les démotiver.
Plus tard, le 31 décembre 1970, est votée une loi qui est la digne héritière de la loi de 1916. La loi française sur les stupéfiants se place sous le signe de la lutte contre la toxicomanie et installe un double-système de mesures coercitives. L’usager est considéré comme un délinquant et un malade, et est passible d’un an de prison et/ou de 3750€ d’amende pour usage simple. Elle sanctionne également la production, la vente et la cession de stupéfiants.
Aujourd’hui encore, la France sanctionne l’usage simple de cannabis, qu’il soit médical ou récréatif.