Ces maires qui veulent légaliser le cannabis dans leur ville
Et si, demain, ma ville légalisait le cannabis ? C’est à peu près l’idée qui a traversé l’esprit de Clément Rossignol-Puech. Lorsque le maire écologiste de Bègles apprend que le Conseil Économique, Social et Environnemental recommande au gouvernement de légaliser le cannabis, ni une ni deux, l’élu girondin attrape un ordinateur et rédige une lettre au Président, Emmanuel Macron.
« Monsieur le Président, écrit le maire de cette ville de 30 000 habitants collée à Bordeaux, je vous fais part aujourd’hui de ma proposition de faire de Bègles un territoire d’expérimentation nationale pour la culture, la vente et la consommation de cannabis récréatif. »
« Quand j’ai appuyé sur le bouton ‘envoyer’, j’ai senti que j’avais fait mon devoir, se félicite l’édile écolo auprès de Newsweed. C’était la première fois que je m’engageais publiquement sur la légalisation du cannabis, même si c’est un sujet que je connais depuis longtemps. »
« Les élus locaux sont dans l’action »
Pour lui, en proposant sa commune comme un laboratoire de légalisation, il veut montrer que « les élus locaux sont dans l’action ». L’élu girondin imagine à Bègles « un lieu où l’on pourrait vendre du cannabis en quantités limités, qui serait bien sûr réservé aux Béglais, un lieu contrôlé par l’État et en lien avec les pharmacies ».
Si le maire en arrive à cette proposition, c’est qu’il a l’impression d’être face à un « puits sans fond », de « vider l’océan à la petite cuillère », une expression fréquente dans la bouche des élus locaux. « A Bègles, il y a un vrai problème de tranquillité publique dû au trafic de cannabis. Il y a plusieurs lieux de vente à proximité des arrêts de tramway. Dans le quartier de Terre-Neuve, le trafic date des années 60, alors qu’il y a eu plusieurs plans de rénovation urbaine depuis. »
Clément Rossignol-Puech n’est pas le premier maire à prendre position. Depuis 2014, le maire de Grenoble, Eric Piolle répète à qui veut l’entendre – y compris à Newsweed – qu’il faut légaliser le cannabis. L’élu écologiste de cette ville de 150 000 habitants martèle que les maires sont « pragmatiques » face aux « coups de menton de Darmanin, Valls, Sarkozy qui répètent qu’ils vont éradiquer la drogue alors que rien ne change ».
« Cannamaires » reçus par Olivier Véran
On pourrait croire que les maires qui demandent à légaliser le cannabis dans leur commune sont tous de gauche. De doux rêveurs, des idéalistes. Mais on se trompe ! En septembre 2020, entre deux confinements, trois maires de droite, signent une tribune dans le Journal du Dimanche. Les édiles de Reims, Châteauroux et Charleville-Mézières – tous encartés chez Les Républicains (LR) – pointent « l’échec » de la prohibition. Ils demandent à autoriser la plante en France.
Quelques jours après cette tribune, ces « cannamaires » comme les surnomment rapidement les journaux, vont encore plus loin. Ils donnent des entretiens à la presse régionale et demandent à tester la légalisation du cannabis dans leur commune.
« On ne peut pas passer d’un modèle tout-répressif à la légalisation du jour au lendemain, justifie Gil Avérous, le maire de Châteauroux, joint par téléphone. Pour moi, il faut d’abord faire une grande réunion, comme des ‘Assises du Cannabis’, où chacun échange ses données. Et dans la foulée, on autorise des territoires volontaires à expérimenter une légalisation. Puis on voit comment ça se passe au bout d’un an ou deux. »
Celui qui est également à la tête de l’association Villes de France se dit « prêt à monter un dossier avec la filière agricole locale », si l’État laisse la possibilité à des territoires de tester la légalisation. Mais il ne fera pas une « fronde » pour autant.
Le battage médiatique de ces trois maires portera ses fruits. Ils seront reçus par Olivier Véran pour un petit-déjeuner au ministère de la Santé.
Le cannabis inscrit dans le « plan particulier pour la Creuse »
Dans la Creuse, cela fait des années que les élus demandent à l’État de tailler un statut spécial au département pour qu’il puisse cultiver « l’or vert ». Et le tableau de chasse compte un sacré trophée.
Le socialiste Eric Corréia, patron de l’agglomération du Grand Guéret, a réussi à faire inscrire le mot « cannabis » dans le Plan particulier pour la Creuse, un document du gouvernement qui doit aider ce département fragile à se relever.
Page 12, « l’État s’engage à examiner les modalités de mise en œuvre des conclusions définitives du Comité Scientifique sur le cannabis thérapeutique en France ». Eric Corréia traduit pour Newsweed ce jargon administratif : « Après l’expérimentation du cannabis thérapeutique, l’État autorisera peut-être les agriculteurs creusois à faire pousser du cannabis pour fabriquer des médicaments. »
Pour cela, l’élu a (lourdement) insisté pour que le mot « cannabis » soit bien noir sur blanc dans le document. Pas une mince affaire. Surtout quand il a vu que le préfet de la Creuse avait « pris du bout des doigts la proposition ». Il a donc écrit directement au président de la République, pour qu’il n’oublie pas « l’or vert » de la Creuse. Et il a gagné.
En Suisse, 300 habitants de Bâle autorisés à consommer
Les élus locaux français pourront s’inspirer du voisin suisse. Dans la ville de Bâle, 370 habitants volontaires auront accès librement à du cannabis, à condition d’être suivis médicalement. Ce modèle pourrait bien paver la voie à une légalisation dans tout le pays. D’autres villes comme Genève ou Zurich manifestent déjà leur intérêt.
Si la France veut adopter ce modèle local, il va falloir une petite révolution. « La politique en matière de drogues appartient à l’échelle nationale, donc les élus locaux ne peuvent pas s’émanciper de cette règle, rappelle le maître de conférences en droit public Renaud Colson. D’ailleurs, les expérimentations locales en Suisse ont l’accord du gouvernement central. »
« Si on veut le faire en France, le gouvernement devrait préparer un projet de loi pour définir les contours de l’expérimentation : à qui s’applique-t-elle, dans quelle zone, etc. Mais c’est tout à fait possible, on l’a bien fait pour l’amende cannabis qui était appliquée seulement dans quelques villes avant d’être généralisée. »
Pour le député Robin Reda, ce n’est pas demain la veille qu’un texte de ce genre arriverait à l’Assemblée Nationale. « C’est de la politique-fiction, sourit l’ancien président de la mission d’information sur le cannabis. Mais, parfois, les meilleures fictions donnent parfois de résultats bien réels ! »
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