L’Allemagne restreint l’accès au cannabis médical pour freiner l’explosion des prescriptions en ligne

Le gouvernement fédéral allemand a approuvé un projet d’amendement à la loi sur le cannabis médical. Cette mesure, annoncée le 8 octobre 2025, vise à freiner ce que les responsables qualifient d’« abus professionnalisé » des prescriptions de télémédecine et l’augmentation spectaculaire des importations de cannabis.

Depuis que l’Allemagne a légalisé l’usage récréatif en avril 2024, les importations de cannabis ont explosé. Rien qu’au premier semestre 2025, les importations sont passées d’environ 19 tonnes à 80 tonnes, soit une augmentation de plus de 400% par rapport à la même période l’année précédente. Pourtant, les prescriptions via le système d’assurance maladie obligatoire n’ont augmenté que de quelques pourcents, ce qui suggère que la majeure partie de cette croissance provient d’acheteurs privés qui se procurent du cannabis en ligne.

« L’augmentation massive des importations de cannabis et la pratique consistant à prescrire du cannabis en ligne sans aucun contact médical personnel nécessitent une action politique », a déclaré la ministre de la Santé Nina Warken, qui a mené cette initiative. « Les personnes qui ont vraiment besoin de cannabis médical pourront toujours s’en procurer. »

Fin des prescriptions en ligne et des livraisons par correspondance

En vertu de la nouvelle modification, les prescriptions de cannabis nécessiteront désormais un contact direct et en personne entre le médecin et le patient, soit dans une clinique, soit lors d’une visite à domicile. Le modèle populaire de télémédecine, dans lequel les patients remplissent des questionnaires en ligne et reçoivent des prescriptions sans jamais rencontrer de médecin, ne sera plus autorisé pour les premières prescriptions.

Les prescriptions suivantes pourront toujours être délivrées par télémédecine, mais uniquement si une consultation en personne a eu lieu au cours des quatre trimestres précédents. Les patients devront également se présenter à un nouveau rendez-vous en personne au moins une fois par an.

La législation interdit également la vente par correspondance de cannabis. La distribution sera désormais limitée aux pharmacies physiques, où les pharmaciens sont tenus de fournir des conseils appropriés sur le dosage, les risques et les interactions potentielles avec d’autres médicaments. Les services de livraison organisés directement par les pharmacies resteront autorisés, mais le cannabis ne pourra plus être expédié par les services postaux traditionnels.

« La vente par correspondance de cannabis médical est exclue, car des obligations d’information et de consultation complètes doivent être respectées dans le cadre d’une consultation personnelle en pharmacie », explique le projet de texte.

L’essor de la télémédecine

La décision du gouvernement fait suite aux critiques croissantes à l’encontre de plateformes en ligne qui permettent aux utilisateurs de remplir des formulaires en ligne énumérant des symptômes vagues — du « stress » à la « migraine » — et d’obtenir une ordonnance en quelques minutes. Le cannabis est ensuite expédié directement à leur domicile par des pharmacies partenaires.

Certaines entreprises faisaient fréquemment la promotion de produits à base de cannabis par le biais d’e-mails promotionnels et des réseaux sociaux, proposant des « soldes d’été », des « réductions anniversaire » et « trois ordonnances gratuites à partager avec vos amis ». Les détracteurs ont comparé son marketing à celui d’une boutique en ligne ordinaire.

« Il existe en fait déjà une loi contre de telles mesures marketing », a fait remarquer le média allemand Die Zeit. « Selon la loi allemande sur la publicité pour les médicaments, la publicité pour les médicaments sur ordonnance n’est pas autorisée. C’est pourquoi vous ne verrez pas de publicité « Ibuprofène à 50 % de réduction aujourd’hui » ou de soldes de rentrée scolaire sur le Ritalin. »

D’autres ont également été accusées de cibler un public plus jeune à travers des campagnes humoristiques sur TikTok et Instagram.

Réaction négative de l’industrie et inquiétudes des patients

Le Bloomwell Group, un des acteurs ciblés, s’est fermement opposé à cette réforme. L’entreprise affirme que les nouvelles règles porteront préjudice aux patients qui dépendent de l’accès numérique pour bénéficier d’un traitement légitime et risquent de pousser les consommateurs vers le marché illicite.

Dans une récente enquête menée auprès de plus de 2 500 patients, Bloomwell a constaté que 42% d’entre eux seraient susceptibles de retourner sur le marché noir si l’accès numérique au cannabis médical était restreint.

« Les personnes interrogées dans le cadre de la dernière enquête ont une fois de plus exprimé de vives inquiétudes concernant les produits illégaux », a déclaré le Dr Julian Wichmann, cofondateur et PDG de Bloomwell. « Cependant, la majorité a déclaré que si l’accès numérique était restreint, comme le proposent actuellement certains politiciens, ils n’auraient d’autre choix que de se procurer leur cannabis auprès de sources illicites. Ironiquement, les allégations d’abus concernent les médicaments sur ordonnance, pour lesquels la limitation de l’accès numérique n’aurait que des conséquences négatives pour les patients, l’économie, le système judiciaire, l’État et la santé publique. »

Pour les patients des zones rurales, où les pharmacies spécialisées sont rares, la situation pourrait en effet devenir difficile. Sur les quelque 17 000 pharmacies que compte l’Allemagne, seules 2 500 à 3 000 proposent actuellement du cannabis médical, la plupart étant situées dans les villes.

« L’impact principal se fera sentir sur les patients des zones rurales qui pourraient ne pas avoir accès à des soins adéquats localement », a déclaré un porte-parole de Jiroo, une pharmacie berlinoise spécialisée dans le cannabis.

Équilibre entre accès et réglementation

Le gouvernement insiste sur le fait que son objectif n’est pas de restreindre l’usage médical légitime, mais de combler une lacune qui permettait aux consommateurs non-médicaux de contourner le marché légal encore limité.

En vertu de la loi sur le cannabis, la possession et la culture personnelle sont légales depuis avril 2024, et les clubs de cannabis sont autorisés depuis juillet. La deuxième phase de la légalisation, qui autorise la vente au détail dans certaines régions pilotes, n’a pas encore été mise en œuvre, ce qui crée un écart entre l’offre et la demande.

Selon le gouvernement, ce vide a encouragé les entrepreneurs en ligne à exploiter les ambiguïtés de la loi. « Bien que la consommation de cannabis soit légale en Allemagne depuis le 1er avril 2024, il n’existe pratiquement aucune source d’approvisionnement légale », écrit Die Zeit. « Cela crée un vide que des entrepreneurs ingénieux exploitent. »

L’Institut fédéral allemand des médicaments et des dispositifs médicaux (BfArM) a confirmé que le quota national actuel pour le cannabis médical, soit 122 tonnes, avait déjà été atteint pour 2025 et qu’aucun nouveau permis d’importation ne serait délivré. Au cours du seul premier trimestre, le Canada a fourni environ la moitié des 37 000 kilogrammes de fleurs de cannabis importés par l’Allemagne, suivi du Portugal et du Danemark.

Un tournant dans l’expérience allemande avec le cannabis

Cet amendement marque une nouvelle phase dans l’évolution du cadre réglementaire allemand en matière de cannabis, une tentative de stabiliser un système qui s’est développé plus rapidement que ne l’avaient prévu les décideurs politiques. Bien que la réforme doive encore être approuvée par le Bundestag, elle signale une intention claire de renforcer le contrôle sur la prescription et la distribution du cannabis médical.

« Le cannabis médical est un médicament sur ordonnance et non un produit à usage purement récréatif », a souligné la ministre de la Santé, Nina Warken. « L’utilisation du cannabis à des fins médicales doit être régulièrement clarifiée lors d’une consultation personnelle entre le médecin et le patient. Nous interdirons l’abus professionnel des ordonnances via Internet. »

Pour l’instant, la réforme semble être un effort pour rétablir l’équilibre dans un marché en rapide évolution, où les frontières entre le légal, le médical et le récréatif restent floues, et où la réglementation peine à suivre le rythme de l’innovation dans le cadre d’une légalisation partielle qui atteint déjà ses limites.