La filière française du chanvre CBD menacée d’extinction par le projet de monopole gouvernemental

En l’espace de quelques années seulement, l’industrie française du chanvre et des fleurs CBD est passée d’une expérience agricole de niche à un secteur légitime en pleine croissance. De quelques dizaines d’exploitations agricoles en 2019 à près d’un millier en 2025, l’industrie a offert une nouvelle source de revenus à des agriculteurs et des commerçants, un type d’économie locale et verte que les décideurs politiques prétendent souvent soutenir.

Pourtant, cette réussite est aujourd’hui sur le point de s’effondrer. Caché dans l’article 23 du projet de loi de finances pour 2026 (PLF 2026), le gouvernement français propose d’imposer un monopole d’État sur la vente de fleurs CBD, sur le modèle du système du tabac. Ce projet limiterait la distribution aux buralistes et à une poignée de « réseaux agréés » encore à définir, tout en ajoutant une taxe d’accise importante sur les fleurs.

Pour l’Association Française des Producteurs de Cannabinoïdes (AFPC), cette proposition ne représente pas un progrès, mais une profonde incompréhension et une condamnation à mort pour des centaines de petites exploitations agricoles et de magasins qui ont construit le marché à partir de rien.

Un appel à la réglementation

Ironiquement, l’industrie française du chanvre CBD réclame depuis longtemps ce que le gouvernement prétend aujourd’hui vouloir mettre en place : un cadre réglementaire et fiscal clair.

« Cela fait cinq ans que nous demandons un encadrement, un cadre approprié », nous confie un représentant de l’AFPC. « Nous comprenons les objectifs du gouvernement : clarté fiscale, traçabilité des produits, protection de la santé publique. Mais l’outil qu’il utilise, à savoir le monopole, ne permettra d’atteindre aucun de ces objectifs. Il détruira le secteur. »

En effet, l’AFPC a soutenu à plusieurs reprises l’idée d’une TVA de 20% sur les fleurs CBD et d’un système de suivi de la production et des ventes. Mais plutôt que de poursuivre le processus de collaboration qui avait été engagé avec des agences gouvernementales telles que la MILDECA (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les addictions), le gouvernement a brusquement changé de cap.

« Jusqu’à la mi-septembre, nous travaillions encore avec la MILDECA à la réécriture du décret de décembre 2021 » se souvient l’AFPC. « Puis, soudainement, on nous a annoncé que la réécriture était annulée. Et quelques jours plus tard, l’article 23 est apparu. Sans consultation, sans avertissement. »

Un monopole qui ne profite qu’aux géants du tabac

Le nouveau modèle canaliserait toutes les ventes de fleurs CBD vers des entrepôts douaniers, contrôlées par deux sociétés principales en France, gérées par des entreprises liées à l’industrie du tabac. Pour l’AFPC, ce n’est pas une coïncidence.

« Ce système est taillé sur mesure pour les géants du tabac », met en garde l’association. « Et si l’on regarde ce qui est arrivé au secteur français de la culture du tabac, qui n’existe plus, on peut deviner où cela va mener. »

Dans un tel système, les petits cultivateurs de chanvre seraient évincés, contraints de signer des contrats avec une poignée d’acheteurs puissants qui dicteraient les prix et les conditions.

« C’est la même histoire que nous avons vue dans l’ensemble du secteur agricole », déplore l’AFPC. « Quelques grands acteurs contrôlent tout, et les agriculteurs ne peuvent pas survivre. »

Un recul économique et environnemental

Le monopole proposé menace d’effacer des années d’efforts pour établir une économie locale durable du chanvre. De nombreux producteurs français de chanvre CBD exploitent des fermes biologiques à petite échelle qui dépendent de la vente directe et de circuits de distribution courts. En coupant ces canaux, le gouvernement les forcerait effectivement à cesser leur activité.

« Restreindre les ventes aux buralistes tue la vente directe et le commerce électronique, qui sont le pilier de la renaissance du chanvre en France », déclare l’AFPC.

Cette mesure compromettrait également les objectifs environnementaux. Le chanvre est l’une des cultures les plus écologiques au monde : il nécessite peu d’intrants, régénère les sols et séquestre le carbone. Taxer et restreindre sa culture va à l’encontre des engagements pris par la France en matière de transition agroécologique.

« Au lieu de récompenser les agriculteurs qui cultivent le chanvre de manière durable, nous les punissons », affirme l’AFPC. « Nous transformons une solution écologique en un problème administratif. »

Un paradoxe en matière de santé publique et de fiscalité

Les partisans de l’article 23 justifient le monopole par des raisons de santé publique et de fiscalité, affirmant qu’il contribuerait à contrôler le marché et à générer des revenus. Mais l’AFPC prévient que le résultat sera inverse : une baisse des recettes fiscales et une augmentation des activités sur le marché noir.

« On voit déjà des fleurs CBD dans les menus des dealers de rue », explique un représentant. « Les producteurs sont sollicités par des personnes qui leur demandent des dizaines de kilos par semaine pour le marché noir. Si vous restreignez l’accès légal, vous rendez le marché illégal plus rentable. »

Il en va de même pour les recettes fiscales. Avec la disparition de centaines d’entreprises légitimes, le chiffre d’affaires total imposable diminuera considérablement. « Ils gagneront moins d’argent, pas plus », insiste l’AFPC. « Un système qui tue le marché légal ne peut pas financer l’État. »

Une alternative viable ignorée

Plutôt que de démanteler l’industrie, l’AFPC a proposé un système d’encadrement inspiré de la réglementation du vin et de l’alcool, un cadre français éprouvé qui combine traçabilité, fiscalité et autonomie locale.

Dans le cadre de ce plan, chaque producteur de chanvre CBD déclarerait son activité à l’État, enregistrerait ses volumes de production et exercerait son activité de manière encadrée. Les agriculteurs pourraient vendre directement depuis leurs exploitations ou à des détaillants agréés, tout comme les viticulteurs vendent leurs propres bouteilles.

« Ce modèle permet au gouvernement de savoir qui produit quoi, où cela est vendu et en quelles quantités », explique l’AFPC. « Il garantit également la traçabilité et la perception des taxes sans tuer les petites entreprises. »

Un tel système renforcerait également la protection de la santé publique, car les chaînes d’approvisionnement courtes et transparentes sont plus faciles à contrôler que les voies d’importation opaques en provenance des Amériques ou d’Europe de l’Est.

« En termes de sécurité, il est beaucoup plus facile de contrôler le chanvre français que les importations étrangères », note le groupe. « Pourquoi ne pas s’appuyer sur ce qui fonctionne ? »

Un plan impossible à mettre en œuvre

Même d’un point de vue logistique, le monopole est voué à l’échec. Le gouvernement semble ignorer l’ampleur du commerce en ligne du CBD, qui représente déjà une part importante, voire dominante, des ventes françaises.

« Comment vont-ils l’appliquer ? », demande un membre de l’AFPC. « Ils peuvent fermer un site web français, mais qu’en est-il des milliers d’autres basés à l’étranger ? Les douaniers ne peuvent pas intercepter tous les colis. »

Le résultat, préviennent-ils, sera une sanction sélective : les petits producteurs français disposant de sites web enregistrés seront des cibles faciles, tandis que les vendeurs étrangers continueront à opérer sans être inquiétés. « Ceux qui en pâtiront sont ceux qui essaient de respecter la loi », déclare l’AFPC. « C’est absurde. »

« Nous voulons une co-construction, pas un conflit »

Malgré leur frustration, les représentants de l’AFPC insistent sur le fait qu’ils restent ouverts au dialogue. « Nous ne sommes pas contre la réglementation », répètent-ils. « Nous voulons la co-construire avec le gouvernement, sur le plan économique, agricole, sanitaire et sécuritaire. »

Pour eux, la tragédie de l’article 23 ne réside pas seulement dans son contenu, mais aussi dans son processus : un nouvel exemple de la France élaborant des politiques de manière isolée, sans écouter les personnes qui connaissent le mieux le secteur.

« Si cela est adopté, conclut un membre, ce ne sera pas seulement une erreur réglementaire. Ce sera la fin de tout un secteur agricole français, un secteur qui était en pleine croissance, innovant et créateur d’emplois. Et tout cela au profit des importations étrangères et des géants du tabac. »

À l’heure où la France a un besoin urgent de revitalisation rurale, d’emplois verts et d’innovation fiscale, détruire sa propre industrie du chanvre serait une blessure auto-infligée. Le message de l’AFPC est clair : réglementez-nous, mais ne nous effacez pas.