Edito : « La légalisation du cannabis peut réussir en France, à condition qu’elle soit bien pensée »

Edito. Quelle ne fut pas ma surprise en épluchant le Courrier des Lecteurs du plus gros journal de PQR français il y a 3 semaines : un « courrier » d’un certain Mr Pujol du Calvados qui écrit spontanément : « Légaliser le cannabis en France serait une erreur, voici ce qu’il s’est passé à l’étranger ».
Ce Mr Pujol ne m’est toutefois pas inconnu. Il croise régulièrement la route de Jean Costentin, médecin prohibitionniste au verbe acerbe. Ni une ni deux, je prends ma plume et écris une réponse à Ouest-France, publiée hier en « version courte » pour tenir dans le format du Courrier des lecteurs.
Je publie ci-dessous la version longue qui reprenait point par point les « arguments » du courrier initial de Jean-Pierre Pujol.
“Cher Ouest-France,
Vous avez récemment publié un Courrier des lecteurs signé par un certain M. Pujol, dénonçant ce qu’il considère comme une « erreur » que serait la légalisation du cannabis.
Notons que M. Pujol n’en est pas à son premier texte dans votre journal : il y a déjà publié plusieurs tribunes à charge contre les drogues. Il est par ailleurs membre du CNPERT (Centre national de prévention, d’études et de recherches sur les toxicomanies), une organisation fondée par le professeur Jean Costentin — médecin membre de l’Académie de médecine, tristement célèbre pour avoir récemment proposé de stériliser les consommateurs de drogues. Une prise de position si extrême que l’Académie de médecine elle-même a tenu à s’en désolidariser.
Le propos de M. Pujol, comme souvent, n’est pas éclairé par la nuance scientifique mais obscurci par une vision idéologique ancrée dans des décennies de prohibition. Il paraphrase le dernier avis de l’Académie de médecine sur la légalisation du cannabis sans y apporter d’analyse personnelle ou critique. Ce Courrier s’apparente donc moins à une contribution citoyenne qu’à une opération de communication prohibitionniste.
Rétablissons quelques faits.
Pujol affirme :
« La légalisation du cannabis revient régulièrement dans le débat politique, en arguant que cette mesure ne poserait aucun problème de santé publique. »
C’est faux : personne ne prétend qu’une légalisation serait sans effet sur la santé publique. Au contraire, elle est pensée comme une politique de santé publique, destinée à encadrer une consommation déjà massive pour en limiter les risques.
« Les hospitalisations dues au cannabis ont augmenté. »
Les données citées concernent principalement des enfants ayant ingéré des produits alimentaires au cannabis. L’étude en question recommande de mieux réguler les produits comestibles, non de remettre en cause la légalisation.
« La proportion des automobilistes hospitalisés après un accident et positifs au THC a doublé. »
Le THC peut être détecté jusqu’à plusieurs jours après consommation, bien après la fin des effets. Aucune preuve ne relie directement ces accidents à l’usage actif de cannabis.
« Le nombre de psychotiques a triplé. »
L’étude évoquée s’intéresse aux personnes déjà à risque de schizophrénie. Elle conclut que l’incidence annuelle de la schizophrénie est stable et que la légalisation n’a pas accentué la prévalence de ces troubles dans la population.
« La consommation augmente. »
Cela dépend des tranches d’âge : au Canada, la consommation a diminué chez les mineurs et augmenté chez les plus de 65 ans. Chez les trentenaires, elle augmente légèrement mais sans hausse des consommations problématiques. On observe même parfois une baisse de la consommation d’alcool dont on connaît les méfaits.
« Le marché noir persiste. »
Oui, mais il est passé de 100 % à 5 % des ventes au Canada. C’est une victoire de la régulation. Voudrait-on maintenir l’interdit pour protéger les trafiquants ?
« Ailleurs, il n’a pas été possible de fixer un taux minimal de THC. »
M. Pujol cite l’Uruguay, où les premières variétés contenaient 2 % de THC. Une aberration. Légiférer sur des produits trop faiblement dosés ne fait qu’alimenter le marché noir. Une régulation efficace doit être réaliste.
« Légaliser reviendrait à banaliser la consommation chez les jeunes. »
C’est ignorer que l’interdiction ne protège déjà pas les jeunes. De nombreux produits sont interdits aux mineurs (tabac, alcool, conduite), sans que cela ne crée un « appel d’air » massif. L’enjeu est l’éducation, pas l’illusion du tabou.
Le vrai scandale est ailleurs.
- Le cannabis est interdit en France, et pourtant nous détenons le plus fort taux de consommation chez les jeunes en Europe.
- Le cannabis est interdit, mais 5 millions de Français en consomment chaque année, dont 1 million quotidiennement.
- Le cannabis est interdit, mais il est légal ou dépénalisé chez presque tous nos voisins : Allemagne, Luxembourg, Malte, Suisse, Pays-Bas… Tous expérimentent des modèles de régulation adaptés et fondés sur les données.
Alors que penser de la légalisation en France ?
On peut ne pas aimer le cannabis — cela ne change rien au fait qu’il existe. S’accrocher à l’interdiction, c’est :
- continuer de nourrir les réseaux criminels ;
- laisser circuler des produits frelatés, dangereux pour la santé ;
- maintenir les jeunes au contact des dealers et donc d’autres drogues ;
- empêcher les usagers en difficulté d’accéder à des soins adaptés ;
- engorger police et justice avec des délits mineurs au détriment de leur mission de sécurité publique.
Les expériences étrangères le montrent : la légalisation peut réussir, à condition d’être bien pensée. Le plus grand risque aujourd’hui n’est pas la légalisation — c’est de rester bloqué dans une prohibition inefficace, coûteuse et dangereuse.
Pendant que le monde avance, la France s’isole. Il est temps de sortir du dogme et de regarder la réalité en face.
L’avenir ne se construira pas à coup d’anathèmes et de fantasmes, mais avec du courage politique et de l’honnêteté intellectuelle.”
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