Cannabis en France

19 associations demandent au Conseil Constitutionnel de censurer l’amende forfaitaire pour le délit d’usage de stupéfiants

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Le 18 février dernier, l’Assemblée Nationale votait le projet de loi de programmation de réforme pour la justice (2018-2022) dont l’article 58 prévoit d’étendre l’amende forfaitaire au délit d’usage de stupéfiants, la fameuse amende Poulliat. Le 21 février, certains groupes parlementaires de l’Assemblée et du Sénat (PS, France Insoumise, les Républicains) ont saisi le Conseil Constitutionnel sur l’ensemble du texte. A cette occasion, 19 associations ont déposé une contribution extérieure pour demander la censure de l’article 58 jugé contraire à certains principes constitutionnels.

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La constitutionnalité douteuse de l’article 58

Lorsque le Conseil Constitutionnel est saisi par les parlementaires, les organisations de la société civile ont la possibilité de déposer une contribution extérieure. Il s’agit d’un texte rédigé par des juristes à destination du Conseil Constitutionnel. Le texte en question a été rédigé par NORML France, le Syndicat de la Magistrature et AIDES. Il est soutenu par 16 autres organisations dont certaines avaient déjà collaboré pour la rédaction d’un livret blanc inter-associatif intitulé “l’échec annoncé de l’amende forfaitaire délictuelle étendue au délit d’usage de stupéfiants”.

Les organisations dénoncent une atteinte aux principes constitutionnels en plusieurs lieux :

  • Atteinte au principe de séparation des pouvoirs et de séparation des autorités chargées de l’action publique et des autorités de jugement : avec l’amende forfaitaire, les services de police – qui relèvent de l’exécutif – seront à la fois autorité de constatation de l’infraction, autorité de poursuite et autorité de jugement. Le paiement de l’amende ayant valeur de condamnation, les autorités policières s’acquittent ainsi d’une prérogative réservée aux autorités judiciaires. A préciser également qu’en vertu du principe de séparation des pouvoirs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le législateur n’a pas l’autorité requise pour opérer ce transfert de pouvoir.
  • Atteinte au principe d’Egalité devant la loi : les organisations précisent que seul le pouvoir judiciaire a les compétences pour juger de cas individuels par rapport à la généralité de la loi sans faire entorse au principe d’Egalité devant la loi. La repression de l’usage de stupéfiants étant de fait inégalitaire et souvent discriminatoire (contrôle au faciès, sur-répression dans les “zones de sécurité prioritaires”), l’article 58, en transférant aux autorités de police un pouvoir de condamnation, va permettre que ces inégalités soient retranscrites dans l’application de la loi, violant ainsi le principe d’Egalité devant la loi.
  • Atteinte à l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et de lisibilité de la loi : le code de procédure pénale précise que l’amende forfaitaire délictuelle ne s’applique pas en cas de récidive. Or, les parlementaires ont considéré que ce principe restreindrait la portée de la mesure dans le cas des délits d’usage de stupéfiants. Le projet de loi prévoit donc que l’amende forfaitaire s’applique même en cas de récidive faisant ainsi du principe général une exception. Les organisation considèrent que cela porte atteinte au principe de lisibilité de la loi.
  • Atteinte au principe du droit à un procès équitable : l’amende forfaitaire délictuelle ne s’applique normalement qu’aux infractions routières. Le système prévoit la possibilité de faire une réclamation pour contester l’amende et de faire un recours devant un tribunal correctionnel si cette réclamation est déclarée irrecevable. Lors de ce procès, le procureur doit présenter un avis d’infraction qui doit pouvoir apporter la preuve du délit. Or, cet avis d’infraction n’est pas adapté au délit d’usage de stupéfiants et le recours en justice semble ici rendu obsolète puisqu’il consistera à opposer la parole du policier à celle du contrevenant.
  • Atteinte au principe constitutionnel d’individualisation des peines : Le droit constitutionnel prévoit que les peines soient individualisées en fonction de la situation de l’individu. Une dérogation est possible pour les infractions de faible gravité – jusqu’aux contraventions de classe 4 équivalentes à une amende de 135€. Le projet de réforme de la justice prévoit d’étendre cette dérogation aux contraventions de classe 5 (dont le montant est par définition plus élevé) et aux délits. Ainsi, peu importe la situation sociale et financière de l’individu, tous les contrevenants seront soumis à la même amende de plusieurs centaines d’euros. Plus important encore, le Code de la Santé Publique prévoit qu’en matière de consommation de stupéfiants, l’individualisation des peines se traduise par une prise en charge sanitaire ou du moins une orientation vers le soin. Or, la police n’a pas les compétences ni les moyens pour dresser un profil des utilisateurs. Ainsi, des usagers récidivistes car en situation d’addiction pourront avoir à payer plusieurs amendes de plusieurs centaines d’euros sans considération aucune pour le caractère problématique de leur usage.

Pour toutes ces raisons, les organisations civiles demandent la censure de l’article 58. La majorité de ces arguments ont été repris par les parlementaires et inclus dans leur saisine. Le Conseil sera donc dans l’obligation de se positionner sur certains éléments. Concernant les éléments non-inclus, la réponse du Conseil est facultative. La promulgation de la loi est suspendue dans l’attente du verdict du Conseil qui se réunit le 16 mars prochain.

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