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Le LSD médicament : histoire d’une disgrâce et d’un intérêt renouvelé en France

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Dans les années 1950, le LSD est l’un des médicaments les plus étudiés au monde. Les indications dans lesquelles les médecins évaluent son intérêt thérapeutique sont particulièrement variées : traitement des psychoses, des addictions, de la dépression, de la douleur, de l’anxiété face à la fin de vie, atténuation de certains symptômes de l’autisme par exemple.

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Une quarantaine de grands centres hospitaliers nord-américains et européens mènent alors des recherches sur la substance, dont au moins huit en France. Les résultats observés par les équipes ne permettent pourtant pas d’obtenir un consensus clair sur sa valeur : les manières de l’administrer sont parfois si opposées, allant des « traitements de choc » à la « thérapie psychédélique », que certains présentent des guérisons spectaculaires quand d’autres affirment que l’expérience « aggrave le tableau clinique ».

Cette opposition se retrouve particulièrement en France où le champ de la psychiatrie est dominé par Jean Delay, le grand psychiatre de l’hôpital Saint-Anne de Paris, que les théories sur le « set and setting » n’intéressent pas.

Ces méthodes, élaborées en Angleterre, au Canada et aux Etats-Unis pour protéger les sujets sous l’influence de psychédéliques, visent à assurer le bien-être, la préparation, le soutien (set), tout en veillant à effectuer ces séances dans un espace confortable et rassurant (setting).

Au contraire en France, le LSD est donné aux patients sans aucune information, dans des salles d’hôpital aux murs blancs et éclairées au néon, les sujets sont laissés seuls parfois pendant de longues heures. Les rapports d’expériences donnent à voir des patients qui se réfugient dans le mutisme, hurlent, déchirent leurs draps, vomissent…

Certains d’entre eux n’hésitent pas à qualifier ces traitements de « torture », ce que consigne froidement Jean Delay, puis ses confrères qui tenteront à leur tour d’administrer du LSD à leurs patients.

Une disgrâce qui s’explique

Dans ces conditions, les médecins français se désintéressent largement du psychédélique, n’y voyant aucun bénéfice thérapeutique. Ainsi, si on estime qu’environ 40 000 patients furent traités avec du LSD dans le reste du monde Occidental entre 1947 et le début des années 1970, en France seules quelques centaines de personnes y furent soumises.

Mais le contexte médical était de toute façon en train de changer pour le médicament : fortement associé aux mouvements de contre-culture qui se diffusaient depuis le début des années 1960 aux Etats-Unis, le LSD devient dans les représentations une drogue dangereuse (et même « la plus dangereuse »), provoquant des psychoses graves menant ses usagers au suicide ou détruisant à jamais leur cerveau.

Ces peurs ne se basent pas sur des données scientifiques, mais sont alimentées par la presse à scandale, qui dénonce l’absence de morale de ces jeunes consommateurs de LSD, passant leurs week-end dans des festivals et faisant l’amour librement, refusant dans le même coup d’aller faire la guerre au Vietnam.

En parallèle, le modèle scientifique lié aux médicaments évolue également à la défaveur du LSD : après des scandales sanitaires dus à des médicaments mis sur le marché sans s’assurer de leur sécurité, les pays commencent à se doter de législation pour protéger les patients.

Désormais, tout médicament devra être testé avant d’être commercialisé afin de démontrer qu’il ne cause pas d’effets secondaires trop graves, mais également qu’il est bien efficace. Ce dernier aspect implique que l’on évalue l’efficacité des médicaments « en double aveugle contre placebo » : deux groupes de patients sont formé, l’un recevant la substance active, l’autre un placebo.

Pour être accepté, la substance active doit donner des résultats plus importants que le placebo, mais ni les patients, ni les médecins, ne doivent savoir ce qui est administré. Or il est impossible d’étudier ainsi le LSD, puisque ses effets sont bien trop évidents pour utiliser cette fonction de « double aveugle ». Dans ces conditions, les médecins ne pouvaient plus faire la preuve de son efficacité.

Ces deux facteurs, culturels et scientifiques, finissent par se croiser à la fin des années 1960 : les médecins utilisant le LSD, de plus en plus stigmatisés et décrédibilisés puisqu’incapables de fournir la preuve de son intérêt, sont progressivement assimilés à des savants fous, des fanatiques souhaitant renverser la société.

Alors que le LSD et les autres psychédéliques sont classés dans la liste des stupéfiants internationale en 1971, les études cliniques, théoriquement protégées par la loi, s’arrêtent d’elles-mêmes. Il n’y a plus de financements, et ces recherches deviennent des erreurs de parcours dommageables pour la carrière des médecins.

Un intérêt renouvelé à l’international et en France

Après une quarantaine d’année de tabou autour des propriétés thérapeutiques du LSD et des autres psychédéliques, la recherche, expérimentale et médicale, reprend un peu partout dans le monde depuis une vingtaine d’années.

Trois facteurs sont en cause dans ce renouveau, qualifié de « Renaissance psychédélique » : de nouvelles générations de scientifiques et de médecins, détachés désormais du stigmate de la contre-culture, s’intéressent à nouveau à ces substances, et bénéficient pour cela de nouvelles technologies comme l’imagerie cérébrale, qui n’existait pas durant la première vague d’étude, accroissant l’intérêt pour comprendre ce que provoquent ces substances dans le cerveau. Enfin, la médecine contemporaine se trouve actuellement dans une impasse thérapeutique dans la prise en charge de certaines maladies, comme la dépression ou le stress post-traumatique, avec un certain nombre de patients résistants aux traitements disponibles.

Dans ces conditions, retrouver les études passées sur les psychédéliques, qui semblaient démontrer de bon résultats dans ces indications, prend une importance nouvelle. Par ailleurs, les savoirs sur les propriétés thérapeutiques des psychédéliques ont été conservés et développés grâce à des thérapeutes pratiquant de manière illégale, mais également grâce aux associations de Réduction des Risques, qui accompagnent les usagers dans leurs consommations, qu’elles soient hédonistes ou dans un but d’auto-médication.

La première étude clinique sur le LSD de cette deuxième vague est réalisée en Suisse en 2014. Le psychiatre Peter Gasser utilise la substance pour soulager l’anxiété et les douleurs de personnes atteintes de cancer ; les résultats sont si positifs qu’il obtient dans la foulée l’autorisation de continuer à administrer du LSD à sa patientèle.

Depuis, ils sont aujourd’hui cinq thérapeutes suisses à avoir reçu cette autorisation.

Deux ans plus tard, l’équipe londonienne de l’Imperial College publiait la première imagerie cérébrale d’un cerveau humain sous l’influence de LSD. D’autres recherches sont désormais en cours pour évaluer l’intérêt de la substance dans le traitement de la migraine, de l’anxiété, des troubles de l’attention.

Bien que la France se montre particulièrement réticente du fait de son histoire au sujet de la reprise des études, une équipe dirigée par le professeur Luc Mallet devrait prochainement étudier l’influence du LSD dans la dépendance à l’alcool.

Si la recherche reprend donc effectivement, il faut toutefois veiller à ne pas surestimer le « pouvoir » thérapeutique des psychédéliques, qui ne représentent pas la solution miracle à toutes les pathologies de notre époque, mais pourraient constituer une alternative intéressante à d’autres formes de médication.

Très peu d’études sont pour l’instant disponible et il faudra encore de nombreuses années pour s’assurer de leur intérêt thérapeutique, puis pour former des thérapeutes à la prise en charge de patients sous l’influence de ces substances, et enfin pour décider du remboursement de ces thérapies, couteuses à court termes.

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