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Les Marie-Jeanne du Colorado

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Aux Etats-Unis, où le cannabis est légal dans plusieurs Etats, les femmes sont nombreuses à avoir créé leur petite entreprise. Reportage dans le Colorado.

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Au Colorado, tout le monde connait Jane West. Du moins tous ceux qui évoluent dans le milieu du cannabis. Lorsque cet Etat est devenu l’un des deux premiers aux Etats-Unis à légaliser la weed, en 2012, cette mère de famille, qui travaillait dans l’événementiel, s’est mise à organiser sur son temps libre des soirées payantes où le cannabis remplaçait l’alcool. Les médias se sont précipités pour y assister.

Mais une succès story commence souvent par un coup dur : ayant aperçu Jane West en train de fumer à la télévision, son patron l’a licenciée. Sans emploi, elle se met alors en contact avec d’autres femmes de cette industrie naissante pour montrer ce qui est devenu le plus gros club mondial d’entrepreneuses dans la marijuana : Women Grow. «Plus de 15 000 personnes ont participé à nos conférences», raconte-t-elle.

Un réseau primordial quand on sait que le cannabis est le secteur aux Etats-Unis où la parité est la plus forte. Les femmes occuperaient des positions de direction dans 36% des entreprises, contre 22% ailleurs, selon une étude parue en 2015 dans le magazine Marijuana Business Daily.

Les années ont passé et Jane West, voyant ses camarades monter leur entreprise, a décidé de faire pareil. Depuis sa maison de Denver, elle a créé une marque d’accessoires en tous genres : pipes, bangs, petits coffrets pour la consommation personnelle. Son nom ? Jane West, évidemment. Sa cible : «Moi-même !» C’est-à-dire des femmes qui veulent remplacer l’alcool par le cannabis récréatif.

C’est pourquoi ses lignes de produits sont si chics et épurées, avec une «totale fonctionnalité» en tête. «Le bang fait juste la taille de œsophage», montre-t-elle. «Et il est discret, vous pouvez le mettre sur la cheminée en déco !»

Jane West compte aussi vendre du café infusé au CBD. Elle a déjà réussi à lever 1,2 million de dollars pour sa nouvelle ligne de produits qui sera distribuée jusqu’au Canada. Et elle tient à souligner que 80% de ses investisseurs sont des femmes ou des minorités.

«On ne peut pas vivre dans un pays où 50% des gens sont des femmes et 25% des minorités raciales sans que ces derniers ne soient représentés dans les positions de pouvoir.»

Jane West est ambitieuse : «Mon but est de bâtir une société à un milliard de dollars», assure-t-elle. Elle se voit même écrire un livre ou une série télé pour raconter ses aventures de pionnière. «Je suis un peu la Anthony Bourdain de la weed», plaisante-t-elle.

1,5 milliards de dollars de recettes en 2017

Au Colorado, le secteur du cannabis a explosé ces dernières années, avec 1,5 milliards de dollars de recettes en 2017 (deux tiers pour le récréatif, un tiers pour le médical). Une vraie manne financière pour l’Etat, qui a récolté 247 millions de dollars de taxes.

A Telluride, Dahlia Mertens, la patronne de Mary Jane’s Medicinals, a vu son chiffre d’affaires progresser en moyenne de 40% par an uniquement grâce au bouche-à-oreille : «Nous sommes l’une des marques les plus populaires sur le marché. Nous avons gagné de multiples récompenses.»

Elle aussi a démarré avec presque rien, quelques milliers de dollars d’économies. Sa société fabrique des produits pour la peau qui soulagent les douleurs et les brûlures. Dahlia connait bien Jane West car elle aussi fait partie de Women Grow, un réseau qui l’a beaucoup aidée à ses débuts.

«Cette industrie est toute neuve et n’est donc pas historiquement dominée par les hommes. Les femmes sont en train d’écrire les règles du jeu», analyse-t-elle. Toutes rêvent un jour de voir le cannabis légalisé au niveau national afin d’étendre leur marché.

Mais ce jour reste loin. Même au Colorado, il reste des freins économiques, notamment les régulations qui changent constamment. Il est par également encore difficile pour les entreprises de trouver une banque. D’où les petites affiches «cash only» trouvées dans la plupart des boutiques.

Karin Lazarus, patronne de Sweet Mary Jane à Boulder, explique qu’elle est sur la liste d’attente d’une banque qui accepte de s’ouvrir au secteur tout en facturant des frais très élevés. Avec sa fille et dix employés, elle fabrique des gâteaux et des bonbons infusés à la marijuana.

«Je me suis lancée avec un four acheté 600 dollars à l’Armée du Salut. J’étais bonne en pâtisserie mais je ne savais pas comment doser le cannabis au début. J’ai été surprise que le succès arrive si vite !»

Quelque 300 dispensaires distribuent aujourd’hui ses cookies et bonbons. Elle livre aussi des produits sur ordonnance. Si elle ne se rend pas forcément compte dans la vie de tous les jours de la place que tiennent les femmes dans cette industrie, elle a une théorie sur leur manière de faire du business.

«J’ai l’impression que les femmes ont un peu plus de compassion – non pas que les hommes n’en aient pas. Mais j’essaie toujours d’aider mes clients malades qui ne peuvent pas me payer, par exemple. C’est peut-être aussi moins intimidant de traiter avec une femme : pour ma génération, le cannabis garde un côté dangereux.»

Yona Helaoua, dans le Colorado

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